Al Sîmîya : La Magie des Lettres Arabes
Par Spartakus FreeMann
Avertissement : le présent travail est celui d’un amateur,
non d’un universitaire versé dans les finesses de l’arabe. En ce sens, nous
recommandons au lecteur de vérifier chaque lettre arabe afin de contrôler toute
erreur typographique qui aurait pu s’y glisser. Nous demandons également au
lecteur de tenir compte que ce travail renferme des Noms divins, sous diverses
formes, et qu’il appartient de les traiter comme il se doit.
La science des lettres peut revêtir différentes appellations
: ’ilm al-hurûf, ’ilm al-bast, jafr, zâ’irja, al-sîmîya… Le terme al-sîmîya,
qui est construit sur la même base que al-kîmîya, signifie « science opérative
des lettres » et constitue une science de la transmutation de la parole. Il
semblerait également que le mot sîmîya dérive du grec « sêmeion », le signe.
L’origine de ce courant reste obscur mais il semble qu’on le retrouve
principalement dans le Soufisme où des auteurs comme Al-Bunî et Ibn Al-Arabi en
décrivent les processus dans leurs oeuvres. Selon eux, la science des lettres
permet à l’homme de se transmuter par la lecture et la recherche du sens caché
de chaque lettre. Le texte agit donc comme inducteur d’un changement chez le
lecteur par le sens profond de l’association de lettres. Le travail est
ésotérique dans le sens où il prend place dans le coeur de l’homme et comme le
dit Al-Buni : « Ne croyez pas que vous percevrez le mystère des lettres en vous
servant de la raison discursive, vous y arriverez par la vision intuitive et la
grâce divine ».
Comme l’écrit Pierre Lory : « La sîmîya ne représente donc
pas un effort de spéculation purement intellectuel ou poétique sur la situation
de l’homme dans le monde. Elle recherche d’abord le déchiffrement du sens que
nous sommes, et non seulement du sens que nous lisons » (La science des lettres
en Islam, édition Dervy).
Celui qui pratique la science des lettres cherche à
découvrir un sens sous le sens apparent du texte et « Le savoir de ce praticien
a deux finalités : tout d’abord, une recherche ésotérique, visant d’une part à
atteindre le sens caché (bâtin) d’ouvrages réputés en être lourds – dont,
naturellement, le Coran – et, d’autre part, à accéder au versant caché du monde
ou à la connaissance de la science cachée des anges, etc. – selon la question
posée – au moyen d’un système divinatoire original, hybride entre la géomancie
et la science des lettres ; ces deux voies lui permettent de prédire des
événements (d’ordre politique, économique, religieux ou personnel) concernant
l’avenir de la communauté ou celui du monde. Ensuite, des opérations magiques,
par la sîmîya’, la science ésotérique (ou la magie) des lettres, dans son
intention bienfaisante » Chroniques yéménites 1997, Les sciences occultes au
Yémen, Anne Regourd.
Selon la science sacrée, les lettres englobent tout le
savoir, la lettre adjoint au chiffre le sens particulier de chaque élément de
la création. Comme l’a formulé Al-Buni : « Sache que les secrets de Dieu et les
objets de sa science, les réalités subtiles et denses, les entités d’en haut,
celles d’en bas et celles des mondes angéliques intermédiaires sont de deux
catégories : il y a les nombres et les lettres. Les secrets des lettres sont
dans les nombres, les épiphanies des nombres sont dans les entités
spirituelles. Les lettres relèvent du cercle des réalités matérielles et
intermédiaires » (Shams al-mâ’ârif, Le Caire). La sîmîya est par là une science
des chiffres sous forme de lettres, chaque lettre de l’alphabet arabe
représentant une valeur numérique spécifique Comme nous pouvons le voir, ce
système est en parallèle avec celui de l’hébreu ou de l’araméen.
Selon les auteurs de la sîmîya, il existe un lien intime
entre les lettres elles-mêmes en relation avec leur valeur numérique. Ainsi,
les lettres b ب, k ك et r ر sont liées car toutes trois possèdent le 2 comme
racine de leur valeur (2, 20 et 200). Il existe, en outre, des carrés magiques
correspondant à chacune des lettres et possédant un principe particulier en
relation avec les valeurs numériques des lettres.
La sîmîya est une science universelle visant à rendre compte
de tout ce qui se manifeste ou peut se manifester dans les différents niveaux
de l’existence : de l’universel au particulier. La sîmîya est aussi un langage
à part entière, qui se suffit à lui-même pour expliquer le monde. La sîmîya est
un raccourci qui permet de faire l’économie de la philosophie du vocabulaire et
des longues dissertations intellectuelles.
L’alphabet arabe comprend ainsi 28 lettres, Vingt-huit est
un chiffre riche au sein de l’arithmologie par son rapport avec le septainaire
: union du 4 et du 3. Vingt-huit est, en outre, le nombre triangulaire de 7 :
7+6+5+4+3+2+1 = 28, et un nombre parfait (14+7+4+2+1=28). Vingt-huit est à la
base un chiffre lunaire qui a influencé le calendrier hébreu aussi bien
qu’arabe et il est à la base de la division du temps et de l’espace dans le monde
sémitique : 7 planète, 7 sphères célestes, 28 mansions lunaires, 4 points
cardinaux, 7 jours de la semaines, … Chaque élément – terre, air, eau, feu- a
son propre groupe de lettres : alif est feu, bâ est air, jîm est eau dâ est
terre, et ainsi de suite. Ainsi, 7 lettres sont de l’élément feu, 7 sont de
l’élément eau, 7 sont de l’élément terre et 7 sont de l’élément air. Le sîmîya
opère en outre une division des 28 lettres en deux groupes : les 14 lettres
lumineuses et les 14 lettres ténébreuses.
Les procédés de l’al-sîmîya sont souvent très proches des
autres procédés basés sur l’utilisation des lettres, et plus particulièrement
sur le système de la Guématria de la Kabbale hébraïque : isopséphie (hisâb
al-jumal), codes de translation, réduction des lettres en chiffres, … Le but
ultime pour les Soufis qui utilisent ce système est, en définitive, de
découvrir le Nom Suprême de Dieu (îsm Allâh al-a’zam) qui couronne les 99 Noms
de Dieu qui furent utilisés afin qu’Allâh puisse créer notre monde. Selon Ibn Arâbi
en effet, la connaissance de Dieu ne peut être qu’incomplète dans la
connaissance du centième Nom de Dieu, car celui qui acquiert cette connaissance
a alors le pouvoir sur toutes choses ici-bas. Mais surtout, il découvre au
travers du Nom Suprême de Dieu son propre nom et ainsi il acquiert la
connaissance de lui-même qui rend alors inutile toute autre connaissance, qui
rend inutile la parole elle-même comme le dit Shurawardi « Celui qui ne parle
pas, c’est que toute sa personne est devenue langage ; c’est seulement par ce
mutisme qu’il peut exprimer son état profond ».
Le Shams al-ma’ârif (Soleil des Connaissances) de Al-Bunî
Au commencement du monde apparut le Alif ا qui engendra la bâ ب et de leur relation, naquit
le lâm ل et les autres
lettres de l’alphabet, soit 29 lettres si l’on inclut le lâm-alif لا. En se combinant les lettres
formèrent le premier Nom divin Allâh puis les 99 Sublimes Noms. « Le alif est
une lettre rectrice, les autres lettres ont été engendrées par lui. Il est leur
ange. Il est l’équivalent de l’Intelligence, de la Science, du Trône, de la
Tablette… La totalité des significations des lettres est contenue dans le alif
qui est une synthèse des synthèses, les lettres contenant en elles la science »
(Al-Bunî, p. 59). Et plus loin Al.Bunî d’ajouter : « Le Prophète Muhammad a dit
: l’existence toute entière fut instaurée par les noms ésotériques de Dieu,
puis par ses Noms exotériques sacrés. Les noms ésotériques non vocalisés (soit
les 14 lettres lumineuses) sont la racine de toute chose dans le monde
d’ici-bas comme dans l’autre, ils sont le trésor du mystère de Dieu et de sa
science. D’eux dérivent tous les Noms exotériques. Ils déterminent toute chose
; Dieu les a constitués « la Mère du Livre » ».
Al-Bunî entreprend ensuite de développer le rôle d’outil que
les lettres revêtent dans le domaine des correspondances universelles. Les
lettres sont classées tout d’abord selon la catégorie propre du ilm ha-huruf :
lettres lumineuses et lettres ténébreuses. Ensuite, par la relation avec d’autres
systèmes, dont l’astrologie, les lettres sont classées en fonction des maisons
lunaires, des constellations du Zodiaque, des heures du jour et de la nuit, des
astres… Les lettres sont divisées en quatre groupes (soit 7 lettres chaudes,
froides, humides et sèches).
Al-Bunî répartit ensuite les lettres selon les différentes
sphères : « A Saturne correspond dans le monde des entités spirituelles la
lettre jîm ج. Celle-ci,
numériquement, vaut 3 en elle-même et 53 après décomposition isopséphique, le م mim valant 40, le ي yâ 10 et le jîm ج 3. Cette lettre est ainsi
elle-même décomposée en 3 autres. Dans le monde des entités subtiles
inférieures, Saturne correspond au sâd ص,
soit le nom 90, qui renvoie, dans les unités à 5 soit la lettre hâ ه. Les carrés magiques en
relevant auront donc des côtés de 5 cases » (Al-Bunî p. 5).
Bien que des auteurs comme Al-Bunî recherchaient une forme
de sainteté ou d’élévation spirituelle par l’utilisation de la magie des
lettres et au travers d’une transmutation intime du coeur et de l’âme grâce à
la puissance des lettres et à la connaissance des secrets des Noms Divins, il
apparaît qu’ils faisaient utilisation de procédés magiques comme les talismans
en vue d’acquérir une forme de pouvoir, de barakah, devant conduire celui qui les
utilise vers une sphère supérieure de la conscience. Ainsi, n’est-il pas
étonnant de voir un subtil mélange de spiritualité pure, de cosmosophie basée
sur la puissance des lettres, et des formes de magies plus matérielles comme
l’utilisation des oracles ou des talismans.
Pour le pratiquant de ses systèmes, l’important reste
l’acquisition de la connaissance qui doit mener à la sainteté. La purification
du coeur est un progrès plus qu’une vertu, un progrès dans la connaissance
ésotérique des lettres qui permet au pratiquant de poursuivre son chemin par
l’ouverture de portes dissimulées aux profanes. Nous sommes donc devant une
vision gnostique dans laquelle la connaissance ne s’acquiert pas seulement par
l’étude mais par la voie de la révélation venant des mondes supérieurs, et donc
de Dieu Lui-même.
Selon Al-Bunî la progression spirituelle peut se résumer en
ces quelques traits :
les saints « comprennent le sens caché des 99 Noms Divins
par don de grâce et d’inspiration, ce que nul autre ne peut connaître par la
spéculation ou la raison discursive ». Ils connaissent les 99 Noms ésotériques
présents derrière les 99 Noms exotériques, c’est-à-dire qu’ils possèdent la
science des 14 lettres lumineuses.
Les saints on le privilège de connaître le Nom Suprême de Dieu
qui marque le stade ultime de la connaissance ésotérique. Le saint qui y est
parvenu peut voler dans les airs, marcher sur les eaux, diriger la volonté des
hommes…
A ce sujet, Pierre Lory écrit : « Le pouvoir magique du
soufi-théurge n’est donc ni acquis par l’apprentissage personnel, ni dérobé à
Dieu ou cédé par Lui par l’effet de procédés magiques : il est une particule du
pouvoir absolu de Dieu, un prolongement ou un reflet sur terre de son action
créatrice ».
« La basmala est à toi ce que le kûn (sois !) est à Dieu »
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